Dans un ordinateur classique, l’unité de base est le bit, qui peut prendre deux états distincts, 0 ou 1.
Ces bits forment la mémoire et les registres, et toutes les opérations logiques s’appuient sur des portes élémentaires
(ET, OU, NON…) agissant sur ces bits ponctuels.
En mécanique quantique, l’analogue du bit est le qubit. Un qubit n’est pas limité à 0 ou 1 ; il peut exister
simultanément dans une superposition des deux états. Mathématiquement, on le décrit par
|ψ⟩ = α|0⟩ + β|1⟩, où α et β sont deux nombres complexes tels que |α|² + |β|² = 1.
Cette possibilité de superposition signifie qu’un seul qubit peut encoder plus d’information qu’un bit classique.
Lorsque plusieurs qubits sont superposés, l’espace d’états croît exponentiellement : n qubits explorent
2ⁿ amplitudes simultanément.
La manipulation des amplitudes α et β se fait via des portes quantiques, représentées par des matrices unitaires :
Hadamard (H), Pauli‑X (équivalent du NOT), CNOT (porte à deux qubits)… Ces opérations sont réversibles et préservent la norme
de l’état quantique.
Un point crucial est l’étape de la mesure : lorsqu’on mesure un qubit, l’état superposé disparaît et on obtient soit 0,
soit 1, avec probabilités |α|² et |β|². Ce caractère probabiliste impose de répéter les expériences pour recueillir des statistiques.
Les qubits se fabriquent à partir de systèmes quantiques variés : spins électroniques, photons polarisés, atomes piégés, circuits
supraconducteurs… Chaque plateforme présente ses avantages et défis techniques.
La cohérence quantique est fragile. Le phénomène de décohérence correspond à la perte de la superposition du fait de
l’interaction avec l’environnement. Plus les qubits interagissent avec des particules externes, plus ils perdent leur état quantique.
Maintenir la cohérence suffisamment longtemps pour effectuer un algorithme quantique complexe est un défi majeur : cela requiert
des systèmes isolés thermiquement (températures proches du zéro absolu), un blindage électromagnétique, et un contrôle précis des
paramètres expérimentaux.
Un qubit peut exister dans une superposition des états 0 et 1.
Intrication (Entanglement)
L’intrication quantique est un phénomène où l’état global de plusieurs particules ne peut pas se décomposer
en états individuels. Deux qubits intriqués ont des propriétés corrélées, même séparés spatialement.
Si on prépare deux qubits dans l’état de Bell |Φ⁺⟩ = (|00⟩ + |11⟩)/√2, mesurer le premier à 0 signifie instantanément que le second
sera 0, et vice versa pour 1, même si les qubits sont distants de plusieurs kilomètres.
Cette corrélation sans signal classique plus rapide que la lumière a fasciné Einstein, qu’il qualifiait de “spooky action at a distance”.
Pourtant, elle ne permet pas la télécommunication superluminale, car on ne peut pas contrôler le résultat de la mesure.
L’intrication est la clef de protocoles avancés : la téléportation quantique, qui transfert l’état d’un qubit à distance,
et le télédécryptage quantique, base de la cryptographie quantique.
En téléportation, on utilise une paire intriquée et une mesure conjointe du qubit à téléporter avec un des intriqués. Le résultat classique
de la mesure est envoyé au site distant, où l’état est reconstruit via une porte unitaire appropriée.
L’intrication sert aussi dans la métrologie quantique, où des capteurs intriqués dépassent la limite de bruit classique,
permettant une précision accrue en mesures de temps ou de champ magnétique.
La création et la préservation d’états intriqués multi‑particules sont complexes : plus le nombre de qubits intriqués augmente, plus l’état
devient sensible aux perturbations, rendant la décohérence encore plus rapide.
Schéma d’un processus d’intrication quantique : un faisceau laser passe à travers un cristal, générant des paires de photons intriqués avec des polarisations complémentaires.
Mesure et Décohérence
La mesure quantique force un qubit superposé à adopter un état classique. C’est un processus irréversible, qui détruit la
superposition et extrait une valeur binaire.
Pour consolider un calcul quantique, on répète plusieurs fois l’algorithme et on collecte les résultats pour en déduire la probabilité
la plus fréquente.
La décohérence est la principale limitation actuelle : dès qu’un qubit interagit avec l’environnement (photons, phonons,
champs ambiants), l’état quantique s’efface progressivement.
Le temps de cohérence (T₁, T₂) mesure combien de temps un qubit reste exploitable. Les meilleurs systèmes atteignent quelques centaines
de microsecondes, bien plus court que les millisecondes nécessaires pour certains calculs.
Pour lutter contre la décohérence, on utilise la correction d’erreurs quantiques, qui code un qubit logique sur plusieurs
qubits physiques, détecte les erreurs et les corrige avant qu’elles ne se propagent.
Les codes de surface et les codes Steane ou Shor sont parmi les plus étudiés. Ils requièrent souvent 10 à 100 qubits
physiques pour protéger un seul qubit logique, ce qui explique pourquoi la course au nombre de qubits bruts est encore loin d’un ordinateur
tolérant aux pannes.